Certaines infirmières ont plutôt le don d'attirer la grande faucheuse. Quand il y a un patient en phase terminal dans le service et qu'elles arrivent pour la relève, on sait que c'est pour bientôt. Elles connaissent les procédures par cœur, et finalement savent appréhender ses situations calmement et au mieux pour tout le monde. Je ne suis pas de celle-ci. C'est même plutôt l'inverse. En trois ans de stages, j'ai toujours évité les décès.
En troisième année, j'arrive pour 5 semaines de stage en gériatrie, long séjour. Mr Z était mort dans la nuit. Les semaines s'enchaînent et chaque matin je m'arrête quelques secondes sur le pas de la porte de Mr Pèche pour vérifier qu'il respire toujours. Toute l'équipe se demande quand est-ce que cela va arriver, comment fait-il pour tenir. J'ai ma petite idée. Il mourra la nuit suivant mon dernier jour. En réanimation, rebelote, les décès ont lieu les nuits où je ne suis pas là, ou même à la minute où je termine ma relève avant de partir.
Résultat, je commence ma vie professionnelle en ayant aucune idée de à quoi ressemble les derniers instants, le moment où le patient passe de l'autre côté et nous quitte. Concrètement, je ne sais même pas à quoi ressemble un mort. J'avoue que ça m'angoisse un peu (beaucoup) quand même.
Pour en revenir au titre de ce message, il y a des premières fois dont on se souviens le sourire aux lèvres. Héhé je parle professionnellement hein ;). Ma première prise de sang (stage de cardio, 1er année, Mr H), ma première sonde urinaire (stage au bloc, 2ème année, Mr Z), ma première sonde gastrique (stage de chirurgie, 3ème année, le jeune Y), mon premier cathlon -le petit tuyau de plastique qu'on laisse dans la veine pour les perfusions- (stage au bloc, 3ème année), la première fois que j'ai aidée un chirurgien (dents de sagesse, Dr F)... Et puis, il y a une première dont je me serai bien -illusoirement- passé.
Un beau dimanche de Juillet 2009, mon ex (qui ne l'était pas à l'époque) était rentrée pour le WE de Toulon où il était en stage pour 3 semaines, avant de repartir au mois d'août pour la Thaïlande, et l'Indonésie, ceci est une autre histoire. Nous sommes chez mes parents, à la campagne, et après des années d'apprentissage, je sors des crevettes, littéralement parfaites, du barbecue. Petit moment idéal. Sauf que... je suis d'astreinte. J'ai déjà bossé 4 fois depuis vendredi soir, je me dit que maintenant je devrais être tranquille. Il est 12h30 et le téléphone sonne. L'éclair dans le ciel bleu. Évidement, c'est la clinique. Le chirurgien digestif veut que je vienne immédiatement pour une reprise de vésicule biliaire. C'est assez rare, tant pour la reprise que pour l'urgence. Je pars donc, le cœur un peu serré.
A peine arrivée, le téléphone de la salle de réveil sonne. C'est le chirurgien, il me dit qu'on ne va peut être pas reprendre la patiente, elle vient de faire un arrêt -cardiaque- et ils sont en train de la réanimer dans sa chambre. Par acquis de conscience, je prépare quand même le matériel et la salle d'opération en attendant mon collègue Martin. Tous les deux, nous avons la poisse, et je ne suis qu'à moitié surprise de ce qui nous arrive. Il est sorti la veille et n'a pas bonne mine quand je lui explique ce qu'il se passe et l'entraîne vers le service de chirurgie digestive.
Nous arrivons dans la chambre de la patiente, elle est intubée, les médecins se relaient pour le massage cardiaque pendant que le cardiologue essaye d'obtenir un ElectroCardioGramme interprétable. L'anesthésiste m'explique rapidement qu'elle s'est mise à saigner dans la cavité abdominale, d'où la décision de reprise chirurgicale, alors qu'elle devait partir en convalescence le lendemain. Et puis, son cœur s'est emballé en "fibrillation", ce qui a amené la réanimation après perte de conscience. Soudainement, je regarde le visage de la patiente, et je la reconnais immédiatement. J'ai aidé le Dr P il y a une dizaine jour pour l'opérer. Tout ne s'était pas passé comme prévu et nous avions du procéder à une laparotomie (ouverture de la paroi abdominale). J'avais tenu les écarteurs deux bonnes heures. Mais finalement, tout s'était bien terminé, et en tout cas il n'y avait pas eu de problème hémorragique.
Je m'apprête à sortir de la chambre quand l'anesthésiste m'interpelle :
"- Aline, vous voudriez pas regarder pourquoi le bicarbonate ne passe pas?"
Et voilà, nous étions lancé dans la réanimation, les deux pieds dedans.
La suite au prochaine épisode...